une démocratie en bonne santé, les situations qui se vivent actuellement dans notre pays auraient bénéficié, sinon d’une attention particulière du Chef de l’État, du moins des interventions ciblées des membres du gouvernement, ou des parlementaires que vous représentez’’

LETTRE OUVERTE À MONSIEUR KABADI, PRÉSIDENT DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

Monsieur le Président,

Je me permets de vous adresser cette lettre ouverte, en tant que citoyen de la République du Tchad, mais aussi en tant que Pasteur, et donc, artisan de la paix et de la prospérité nationale, porteur d’espérance, et défenseur de l’harmonie sociale. Face à toutes les dérives observées dans notre pays en général, et les derniers événements auxquels nous assistons dans la capitale en particulier, et en l’absence d’autre moyen pour obtenir l’attention de la classe dirigeante, qui semble s’éclipser dès que des crises surgissent au sein de la nation, je me vois obligé, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, de m’adresser à vous.

‘’Dans une démocratie en bonne santé, les situations qui se vivent actuellement dans notre pays auraient bénéficié, sinon d’une attention particulière du Chef de l’État, du moins des interventions ciblées des membres du gouvernement, ou des parlementaires que vous représentez’’. Ce que nous constatons, au contraire, c’est un silence dédaigneux, une indifférence totale à l’opinion populaire, et une hostilité maladive à la vérité. D’ailleurs, pour les dirigeants du Tchad, le peuple n’est qu’un « chien qui aboie pendant que la caravane passe ». C’est ce qui se dit, malheureusement, dans les cercles du pouvoir. Cependant, vous n’avez pas d’autre choix que d’écouter ce peuple, Monsieur le Président. Il le faut, si vous voulez continuer de le diriger.

La définition de la démocratie que nous prônons au Tchad ne répond pas aux critères universelles, et est loin de faire l’unanimité. En fait, rien n’est jamais normal chez nous. Les discours creux des politiciens et du gouvernement sont plus des mantra mémorisés, qui s’exécutent scrupuleusement d’après une litanie bien réglée. De ce fait, toute voix contraire qui critique, qui recommande, ou qui oriente, est systématiquement considérée dissidente, et par voie de conséquence, devrait être tue, éliminée, étouffée. Voilà pourquoi de nombreux cadres compétents dans notre pays sont écartés des affaires publiques ou des cercles de décision de l’État. Leur crime ? Avoir refusé d’épouser la politique destructrice du système en place, et de s’en tenir à leurs idéaux de vertu et du code de l’honneur. Cela, bien entendu, met à mal notre « démocratie », qui manque ainsi cruellement de débat contradictoire. Or, dans la vie d’un homme ou d’une nation, il doit arriver un moment où la raison devrait transcender les passions. Et c’est à cette voie de la raison que je vous convie, Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale.

Les situations que je vais ci-après évoquer ne vous sont pas inconnues, loin de là. Vous savez, comme tout Tchadien, que les ruelles de la capitale, celle-là même que le régime a baptisée « Vitrine de l’Afrique », sont devenues des lacs. En l’absence de canalisations appropriées, et à défaut d’avoir imposé une rigueur professionnelle dans l’attribution des marchés publics quant à la construction des routes, nous subissons aujourd’hui des inondations destructrices. Les esprits retors évoqueraient les mêmes circonstances partout en Afrique, tant s’en faut. Cependant, toutes ces irrégularités, admises depuis trente ans dans la gestion des affaires de la nation, nous retombent désormais sur la tête, endeuillant des centaines de familles, et en renvoyant plusieurs autres dans la rue, faute de logement approprié et d’une urbanisation réfléchie.

Entre temps, les services de douanes se sont mués en des unités urbaines de razzia, rackettant les populations pour, paraît-il, un énième dédouanement de véhicules justement déjà validés par … les douanes elles-mêmes. Du fait d’un mécanisme obsolète mis en place, et fermement orchestré pour dépouiller les populations des maigres revenus dont elles disposent, le Ministère des finances est passé maître dans l’arnaque. Des taxes exorbitantes, des impôts astronomiques, une loi des finances largement orientée vers les forces de la sécurité, et donc à l’avantage exclusive de l’armée, appauvrissent le peuple, qui assiste impuissant au détournement massif de ses avoirs par un clan impitoyable, arrogant, et cynique, désespérément accroché aux commandes.

La SNE, que je considère comme une société spécialisée dans un délestage chronique, a décidé quant à elle, de punir sa clientèle parce qu’un certain jour d’avril 2020, le Chef de l’État aurait laissé entendre que pendant le temps de confinement, les consommateurs bénéficieraient de trois mois d’électricité subventionnée par l’État. Les rouages de cette société, supposée fournir l’électricité à la nation, sont des plus complexes, perdus dans des méandres inimaginables, et destructeurs de l’économie nationale. Chasse gardée de quelques barons du régime, la SNE n’existe que de nom, facturant le pays pour des services jamais offerts, et enrichissant une poignée d’individus sans scrupules, car justement ni patriotes, ni citoyens d’un pays qui se veut fier.

Nous n’ignorons pas, en revanche, la manière très peu patriotique avec laquelle la crise sanitaire, qui ravage le monde entier depuis le début de l’année, a été gérée par notre gouvernement. Le souvenir très vivace des exactions des forces de sécurité sur les populations, poursuivies comme de vulgaires criminelles, à travers les artères de la capitale, et subissant des sévices corporelles en pleine rue. Il y a eu aussi au moins un membre du clergé publiquement humilié par les forces de sécurité, devant sa propre famille, sans parler des nombreuses discriminations observées dans la prise en charge des populations vulnérables au cours des temps difficiles que nous vivons depuis de longs mois. 

Point n’est besoin de mentionner la catastrophe scolaire et académique actuelle qui fera de nos enfants des abrutis et des semi lettrés dangereux au progrès social. La rentrée scolaire est déjà en vue, et les enfants devront se retrouver, sans enseignants qualifiés en nombre suffisant, dans des salles de classe de fortune, et dans des cours de récréation boueuses, pleines de moustiques et de reptiles. Le Tchad, semble-t-il, détient l’exclusivité d’être la seule nation où aucun élève, peu importe ses notes, ne devrait reprendre sa classe, et les cancres se multiplient désormais à une allure inquiétante dans notre pays.

Alors que les jeunes demandent des écoles administrées et équipées selon les normes universelles, les griots du chef de l’État scandent des félicitations pour un certain centre de couture qui serait « offert » par la première dame, soi disant à ces mêmes jeunes… On serait en droit de se demander quel est le rôle des organes de l’État que sont le Ministère de l’éducation nationale, ainsi que les innombrables fonds destinés à la formation professionnelle, à l’insertion de la jeunesse, et tout le bazar qui alimente le discours politique national depuis trente années. D’où proviennent les fonds qui ont servi à équiper ce tout nouveau centre de formation en couture « gracieusement offert » par la première dame au moyen de son grand coeur à la jeunesse tchadienne ? Et pourquoi ces mêmes fonds ne seraient-ils pas alloués à l’éducation nationale dans les normes, pour recruter des enseignants qualifiés, équiper des centres d’apprentissages dans le souci de mieux préparer cette même jeunesse à ses responsabilités futures ?

Paradoxalement, d’autres jeunes qui paient des impôts et des patentes pour gérer un petit kiosque de traitement informatique, ou pour vendre quelques articles péniblement acquis, du fait de l’incertitude que les douanes nationales représentent pour le Tchadien, constatent désormais avec effroi que les rouages officiels de l’éducation et de leur prise en charge, sont court circuités par des agences parallèles. Vous pouvez comprendre, Monsieur le Président, dans cette catastrophe, l’attitude arrogante et insouciante qu’affiche notre administration nationale.

Pour couronner le tout, des barbaries indignes d’une nation se voulant moderne et démocratique, s’observent au Palais de Justice, lieu privilégié où devrait être entretenu le respect des lois et des textes régissant notre République, désormais devenue la risée du monde entier. Lorsque des justiciables défient ouvertement le pouvoir, et s’insurgent contre l’autorité publique, nous avons ainsi affiché à la face de la planète, notre immaturité et notre détermination à ne jamais construire ce pays où tous les citoyens seraient égaux devant la Loi. D’ailleurs, plusieurs de ces « citoyens de première classe » l’ont publiquement affirmé et démontré, sans que l’affaire n’ait été portée devant les juridictions compétentes pour que réparation soit faite. L’absurdité tient en ce que des individus que paie la nation, se targuent de quelque droit particulier du fait du treillis qui les revêt, et des symboles de la République que nous leur avons donné le privilège de porter, pour abattre des civils sans défense dans un lieu public comme le marché du Champ de Fils.

Monsieur le Président, on ne bâtit pas une nation sur la violence. On ne peut espérer la cohésion sociale et le développement dans un système totalitaire, où seul le langage des armes, de la brutalité, et de l’intimidation, serait respecté. Les institutions sont les bases les plus fiables d’une administration politique et gouvernementale pouvant espérer un avenir prospère. Or, en République du Tchad, ces données fondamentales sont dédaignées et proscrites.

Lorsque les denrées basiques que sont l’électricité et l’eau courante n’existent plus dans notre pays, et que vous, Monsieur le Président, n’avez jamais élevé la voix pour interpeler les services compétents du secteur ; lorsque les rues sont devenues des mares, apportant avec elles leurs lots de ce que nous connaissons comme risques de santé publique, et toutes infections parasites ; lorsque la nation périt et que le gouvernement se mure dans un silence complice, voire se complaît à narguer le peuple d’un air dominateur et esclavagiste ; à ce niveau, Monsieur le Président, nous avons des problèmes. De gros problèmes.

Sans chercher à les recenser tous ici, Monsieur le Président, ces problèmes sont, entre autres, la confiance que les populations ont désormais perdue vis-à-vis de ce système. Vous constituez, certes, la majorité parlementaire, et vous imposez au peuple des vices qui, faut-il le rappeler, ne comportent aucun bénéfice à court ou à long terme pour les populations tchadiennes. Le peuple ne vous fait plus confiance, ni à vous-même en tant que premier responsable du Parlement, ni au Gouvernement, moins encore au Chef de l’État. Et je pèse mes mots, Monsieur le Président. Car les nombreuses promesses, qui alimentent les discours depuis trente ans, ne sont que ce qu’elles sont : des vaines promesses, visant à endormir le peuple, à le diviser et le dépouiller. Et les risques à encourir devraient être considérés à tous les niveaux, car la négation du contrat social, le mépris de l’ordre constitutionnel, et la démocratie, désormais trahie, n’offrent plus aucune garantie au peuple. Rien n’avance au Tchad. Et cela ne semble vous déranger le moins du monde. 

Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, vous devez comprendre que votre responsabilité est désormais engagée. Vous représentez le peuple, ce même peuple que vous méprisez et que vous humiliez par tous les moyens imaginables, vous, en tant que son premier représentant, et tout le Gouvernement qui n’existe que pour ses avantages salariaux, sans jamais se soucier de ce que vit la nation.

Depuis des années vous avez pensé que ce peuple ne pourra jamais vous les demander, mais sachez, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, que vous-même, ainsi que tous les membres de notre Parlement, nous devez des comptes à la nation. Vous avez l’obligation de défendre ce peuple. Vous êtes tenus de porter nos voix à Monsieur le Président de la République. Vous êtes tenus de demander des comptes au Gouvernement que vous vous contentez, malheureusement d’applaudir et de cautionner, même quand un ministre, tout officier supérieur serait-il, se permet de gifler publiquement un gendarme en fonction dans les locaux du Parlement. Il n’est donc pas étrange que les gendarmes aient à se terrer lorsque des individus armés se rendent au Palais de Justice pour ravir un prévenu, que dis-je, un condamné, à leur nez et à leur barbe. Vous êtes tenus de faire comprendre à tous les organes qui sont supposés servir la nation, que le contrat social se doit d’être respecté dans les deux sens. Vous êtes tenus d’élever la voix lorsque les services des douanes se livrent chaque année, presque à la même période, aux mêmes arnaques contre une population déjà énormément défavorisée par les aléas climatiques, et un système politique en décrépitude.

Même si pendant tout ce temps à la tête de notre Parlement, vous n’avez fait que défendre votre parrain, le parti au pouvoir, et le Chef de l’État, contre les intérêts du peuple, s’il vous reste un brin de conscience, et un petit peu d’humanité, prenez vos responsabilités, Monsieur le Président de l’Assemblée nationale, et commencez par ramener l’électricité dans la ville. Arrêtez de vous cacher derrière des excuses qui ne sont que de la lâcheté et un fol désir de plaire à ceux qui vous ont élevé à votre dignité actuelle. Convoquez des sessions parlementaires s’il le faut, et demandez des comptes à qui de droit. Dites-nous pourquoi nous n’avons jamais de l’électricité dans le pays depuis trente ans. Dites-nous où va l’argent que nous payons à cette société d’obscurité, la SNE. Dites-nous qui empêche aux Tchadiens de vivre sous la lumière. Et pendant que nous y sommes, à la fin de cette saison des pluies, arrangez-vous, Monsieur le Président, à faire doter de rues dignes de ce nom cette vieille capitale délabrée. Et vous-même, lorsque vous roulez en ville, assurez-vous que vous vivez dans une agglomération moderne, éclairée, propre, et bien aménagée. Et nous serons fiers de vous, Monsieur le Président. Si vous n’avez jamais pris une décision avec votre conscience, que celle-ci vous rachète aux yeux de la nation. 

Je vous interpelle donc, en ma qualité de citoyen tchadien d’abord. Je suis un prédicateur de l’Évangile, et je ne puis me taire face à l’injustice. Je me dois de vous rappeler votre mandat, Monsieur le Président, ainsi que vos obligations vis-à-vis de nous, ce peuple, ces populations que vous viendrez d’ici peu courtiser pour en solliciter les voix. Car déjà au loin se profilent les élections, et vous parcourrez une fois de plus les villes et les régions de ce pays, pour supplier le Tchad de donner encore un mandat de plus à votre parti. Sachez cependant,  que dans les circonstances actuelles, un de plus sera un de trop. Comprenez, Monsieur le Président que même chez les dupes, le bon sens, un jour s’éveille, et la fierté humaine ne se monnaie guère.

Ayant grandi dans un pays aux pratiques héritées des régimes totalitaires, je suis pleinement conscient que la réaction officielle à cette lettre ouverte ne fera pas l’exception. Il y aura sans doute répression. On entendra encore ces refrains que les systèmes dictatoriaux savent servir aux médias : incitations à la révolte, et autres troubles à l’ordre public ou encore, outrage à l’autorité de l’État. Ça serait, dans ce cas, la meilleure réaction. La pire serait que votre régime ordonnera que les réseaux sociaux soient bloqués, que l’Internet soit coupé, vu que le pays tout entier est déjà mis sur écoute, et que les organes de médias soient censurés, les journalistes tabassés et enlevés, ou encore que les rassemblements religieux soient interdits, puisque c’est un prélat qui ose interpeller l’autorité parlementaire. Point n’est besoin de rappeler que, contrairement à certains qui ont des armes et prennent d’assaut les tribunaux, moi j’en appelle à votre sens de l’analyse, et je vous présente des arguments. Il vous revient de les réfuter, Monsieur le Président.

Mais comprenez-moi bien, Monsieur le Président. Les citoyens comme moi n’ont aucun intérêt, ni dans la révolte, ni dans les troubles à l’ordre public. Au risque de me répéter, je suis un prédicateur de l’Évangile. Je suis aussi d’abord et avant tout, un citoyen. Mais je suis tout autant un intellectuel, et un communicateur. L’intérêt national est mon unique préoccupation. Je veux pouvoir vivre en paix dans mon pays. Je veux avoir le droit de m’endormir et de me réveiller en paix. Je veux pouvoir travailler aux heures où me vient l’inspiration, sans être obligé de me détruire les yeux dans des ténèbres éternelles. Je veux pouvoir écouter de la musique, et en produire, écrire des textes, et utiliser mon ordinateur, mon téléphone, mon micro-ondes, mon réfrigérateur, mon climatiseur, quand j’en ai besoin. Je vis au 21ème siècle, ne vous déplaise. Et pendant que certains citoyens peuvent aller négocier avec des autorités étrangères des marchés en technologies numériques, je n’ai, pour ma part, qu’un besoin fondamental : l’électricité. Car l’Internet sans électricité, c’est comme une Ferrari sans moteur.

Les intérêts partisans sont le dernier de mes soucis. J’ai vu des régimes s’ériger et s’écrouler. Je sais ce que représente la folie des grandeurs, lorsque les dirigeants méprisent le droit dont ils tordent le sens à leur guise. Et je me permets de faire remarquer que dans notre pays, nous sommes sur la pente la plus dangereuse qu’aie connue une civilisation. Si cette interpellation trouve un écho favorable dans votre conscience, moi-même, ainsi que quinze millions de Tchadiens, parviendrons sans doute à pardonner tous les sévices que ce parti nous fait subir depuis trois décennies. Si, par contre, vous en venez à quelque analyse fantaisiste, et que vous ordonniez à vos sbires en uniforme de s’en prendre non seulement à ma modeste personne, mais aussi aux membres du clergé, pire, à tout le corps des chrétiens dans le pays, nous aurions donc ainsi la preuve que l’Assemblée nationale que vous dirigez n’est en fait qu’un prolongement de votre parti, lequel n’aura jamais inscrit dans son agenda l’intérêt du peuple tchadien. Et l’Histoire s’en souviendra, Monsieur le Président.

Avec tout le respect que je vous dois en vos rangs, titres et honneurs.

GOTINGAR GUY THOMASSIN

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